Feuille de route (II)

Publié le par battuta


Vu en l’espace d’une semaine deux road-movies sur le Liban.

 

Sous les bombes (« taht al-qasf », 2006), film de Philippe Aractingi réalisé en été 2006 en pleine ixième guerre du Liban, avec deux très bons acteurs, Nada Abou Farhat et Georges Khabbaz, contraste de part sa qualité avec un ennuyeux Je veux voir (« beddi shouf », 2007) de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige avec Catherine Deneuve et Rabih Mroue.

Il faudrait réfléchir à la signification des road-movies dans l’imaginaire cinématographique du moyen-orient. Alors que le cinéma égyptien, qui jusqu’à aujourd’hui demeure le plus prolifique de la région, est surtout caractérisé par des comédies statiques d’intérieur, où se jouent les intrigues amoureuses ou politiques, les films portant sur la guerre du Liban et celle d’Irak introduisent une dynamique toute différente - et surtout, une étonnante ressemblance visuelle. 

Des personnages prennent la route, en quête de souvenirs, d’un fils perdu, d’un passé effacé par la guerre. Pour le Liban, il s’agit surtout de la route du sud, aux cœur du Hezbollah-land, qui mène jusqu’à la frontière avec Israël. Cette frontière apparaît sous forme de ligne de démarcation ou  de checkpoint, symboles omniprésents bien sûr aussi dans le cinéma palestinien - notamment dans Intervention Divine d’Elia Suleiman (2002), ou plus récemment, dans Le sel de la mer, d’Annemarie Jacir (2008). La frontière interrompt l’avancée et symbolise cette incongruité que constitue, encore aujourd’hui, la présence d’Israël pour les peuples de la région et le sentiment d’impuissance que cette présence provoque.

En même temps, les parallèles avec le cinéma kurde d’Irak et celui d’Iran – je pense surtout à Les tortues volent aussi, de Bahman Ghobadi (2004) et à Safar d’Abbas Kiarostami (1994) - est frappant. Là encore, on montre essentiellement par des road-movies que la guerre signifie surtout déplacement, déplacement physique des populations, déplacement de sens aussi.

 

A chaque fois, les guerres qui frappent la région propulsent les civils sur les routes, les déracinent, les lancent dans une quête d’identité. Et dans chaque accord de paix, la carte géographique et routière est un instrument primordial de négociation.

 

C’est une énième ironie de la puissance que de proposer des « Feuilles de route » censées donner la direction « juste », celle qui aboutira à la création d’un Etat, ou à la stabilisation d’un autre. Or face à tant de promesses non tenues, c’est plutôt dans la quête et le mouvement que les cinéastes de la région veulent voir du sens dans tout ça. Ils ont le mérite d'essayer... 


Illustration: Nada Abou Farhat et Georges Khabbaz, on the road, Sous les bombes

Publié dans Films

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