Amiralay: quand le barrage s’effondra

Publié le par battuta


Je me souviens du jour de l’été 2002 où le barrage de Zeyzoun s’effondra. A Damas il faisait une chaleur infernale et une tranquillité de plomb régnait. Pendant quelques heures, après la diffusion de la nouvelle, les gens retinrent leur souffle. Il devint clair à mes yeux que beaucoup attendaient cette catastrophe, cette "intervention divine", pour faire s'effondrer le régime tout entier. 

 

La presse officielle syrienne s’empressa de déclarer que les villages environnants, sur la magnifique plaine du Ghâb, au nord du pays, furent évacués à temps. Mais comment peut-on évacuer à temps des femmes, des enfants et des vieillards alors qu’une vague de plusieurs mètres est en passe de les engloutir ?

 

A travers un formidable documentaire, Déluge au Pays du Baas (2004), vu ce soir à Ramallah, le cinéaste syrien Omar Amiralay s’empare de cette catastrophe pour tout démolir. Démolir l’œuvre industrielle et éducationnelle du régime syrien, qui a englouti des milliers d’hectares de cultures traditionnelles et lavé le cerveau de millions de citoyens ; démolir sa propre œuvre cinématographique, puisqu’il avait, en 1970, lui-même réalisé un court-métrage à l’éloge du grand barrage syrien sur l’Euphrate ; démolir enfin notre foi en le progrès et la trop longue et aveugle compromission des images et des cinéastes avec cette croyance.

 

De Zeyzoun à Kathrina - voir à ce sujet le film de Spike Lee, When the Levees Broke (2006) - en passant par les inondations guerrières de ces dernières années, ne commencerions-nous pas à comprendre que la réalité de la modernité, telle que publicisée par les différents pouvoirs n’est en fait qu’illusion? Assisterait-on à une révolte des réalisateurs postmodernes contre les premiers documentaires qui marquèrent les fiers débuts du cinéma industriel ?

 

Certainement, depuis la Sortie de l'Usine Lumière en 1895, l'ère industrielle a connu bien des déluges, bien des catastrophes, dont les représentations filmées, moins enthousiastes, plus destructurantes, nous donnent la mesure du temps passé.


Publié dans Films

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M
Je pense au chauffeur de taxi de Palmyre qui nous avait accompagné voir le coucher de soleil sur les alignements romains et sur la cité de Zénobie. C'était je crois à notre gauche. Le chauffeur regardait à droite, le soleil se couchait aussi sur les HLM de la ville nouvelle. Regardez, disait-il, comme c'est beau. C'est moderne. Ou à ce bédouin de Der ez-Zor à qui nous demandions la route pour Doura Europos. Doura Europos? Il n'y a rien là-bas. Vous avez vu le lac Assad? C'était un barrage aussi. Il avait les yeux qui brillaient. Il se peut que pour ces syriens, l'écroulement du barrage ait été une réelle catastrophe, un rêve de modernité qui s'écroulait. Le régime? Ils faisaient avec.
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B
<br /> Il y a quelque chose de très touchant, et de vrai, dans ce que tu dis. Nous allions voir de vieilles pierres, ils étaient fiers des nouvelles. Dans le documentaire en question, c'est un syrien<br /> lui-même qui critique: et ça aussi, il faut en tenir compte. <br /> <br /> <br />