Passeports

Ces histoires de passeports et de cartes d'identité me rappellent ce long combat mené, à Damas, avec mes amis palestiniens du camp de Yarmouk.

Ils étaient cinq jeunes gens et la liberté leur pétillait dans les yeux. Il s'étaient affranchis tous seuls de leurs parents et vivaient dans un univers qu'il s'étaient créé, un univers de rires, de fêtes, d'excès, de chaos, d'amour.

Autour de chez eux, les quartiers sud de Damas rongaient petit à petit la vie de leur grisaille et de leur désespoir: explosion démographique, pollution, répression. Le mont Hermon, miroir des aigles (pardon Char, encore!), était en vue.

Il fallait convaincre Harb, leur père, un ancien fedayyin, acteur de la révolution palestinienne échouée de1970, de regagner la Jordanie à l'occasion d'une amnistie proférée par le Roi. Qu'il retourne à Amman, et renouvelle son propre passeport jordanien, périmé depuis des lustres: tel était l'objectif à atteindre, pour que ses enfants puissent avoir des passports eux aussi.

Cela dura des mois. Il fallut aller manger des abats dans son repaire, quelque part dans le camp Falasteen. Il fallut écouter ses prêches. Faire des courbettes. Apporter des offrandes. Subir ses colères. Pour mes cinq amis, le vieux Harb était à nouveau indispensable, et lui s'en donnait à coeur joie dans son rôle retrouvé de père.

Puis un jour, il partit en Jordanie. Ce fut comme l'éclipse du Mehdi, ou la fuite à Baden Baden: longues journées de silence, temps suspendu, souffle retenu. Reviendra-t-il?

Il revint. Avec un passeport. Pour mes cinq amis, cela signifiait la possibilité de voyager et d'envisager une autre vie.

Ils ne se firent pas prier: ils sont aujourd'hui en Belgique, en Autriche, en Italie et au Danemark.

Réalisant ce qu'une majorité de jeunes gens de Palestine, Syrie, Egypte souhaitent faire: partir. Laissant se tarir derrière eux ces oasis de liberté qu'ils surent créer dans leurs déserts de peur. 

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