Batn el-Hawa (ventre du vent)
L’immeuble appartient à une seule famille. Dans l’appartement du haut, un bébé vient de voir le jour, une petite fille. Je l’ai vue hier : petit être flottant sur une mer de draps blancs. Le voyage, pour elle, vient de commencer.
L’appartement du bas est occupé par la grand-mère, aigrie, qui observe tous les faits et gestes, sait tout de ce qui se passe dans l'immeuble, malgré sa surdité, et dans le quartier, bien qu'elle soit aveugle. Au-delà, je pense, ce ne sont que cyclopes et minotaures.
Entre les étages circulent les femmes, épouses modèles, grillons du foyer, toujours là quand il s’agit de réparer un fusible, m’apporter à manger, prendre les sous du loyer, voir si ça va, demander pourquoi ça va pas, et surtout, construire des fables dont tout l’immeuble, puis le quartier, se nourrissent.
Et les hommes ? Ils voguent. Se laissent entraîner par le vent. N’ont prise sur pratiquement rien. Racontent leurs aventures guerrières auxquelles personne ne croit plus. Se font nourrir et chérir. Conduisent les voitures, portent les commissions, vont au boulot. Grossissent.
Et le soir, ils reviennent au « ventre du vent », fatigués, saluent la grand-mère qui ne manque pas de les engueuler, montent à l’étage pour s’apercevoir que la broderie est inachevée et que, voile noire, voile blanche, demain il faudra appareiller.